Depuis le 16 mars 2022, j’ai commencé le voyage autour de mon projet “Repenser l’énergie ensemble”. Pour rappel, ce dernier consiste en un voyage à travers les projets citoyens d’énergie en France et en Europe. Ces projets sont impulsés par une dynamique citoyenne et ont pour but de se réapproprier des moyens de production d’énergie. Ils émergent depuis les années 1970, mais un regain important existe depuis plusieurs années, notamment face à la crise écologique.
En stop, en bus ou en train, à travers le Diois, l’Ecosse et bien d’autres territoires, je me lance pendant cinq mois dans une itinérance à travers les lieux et les personnes qui ont construit ces projets afin de découvrir, questionner et créer du récit autour de ces nouvelles pratiques. Au retour de cette itinérance, une exposition photo à Grenoble aura pour objectif de partager les différentes énergies citoyennes dont il a pu être témoin. Pour immerger un peu plus le visiteur dans ce voyage, un univers musical accompagnera l’exposition, constituée de fragments sonores qui auront été enregistrés pendant le projet.

Première étape de mon itinérance dès le lendemain de la fin de mon stage !
Je me rends le mercredi 16 Mars 2022 chez Clémence, responsable animation/communication du projet Grési21, ou également nommé Centrales Villageoises du Grésivaudan.

Les centrales villageoises, c’est un des plus vieux réseaux de projets citoyens d’énergie (2018). Ils ont développé énormément de projets photovoltaïques, d’abord en Auvergne Rhône-Alpes et principalement selon le modèle économique de la vente totale de l’électricité au réseau national, que je développerai plus tard dans cet article.
Ce projet est situé dans la vallée du Grésivaudan. Cette dernière démarre à Grenoble et se poursuit jusqu’à Pontcharrat, sur la route de Chambéry. Clémence m’éclairera un peu plus tard sur l’histoire de cette vallée.

En attendant, j’ai rdv chez elle à le matin à Varces, avant d’aller voir Luc Jourdan, président de Grési 21, puis de visiter en vélo quelques installations mises en place par Grési21 sur Crolles et St-Ismier et enfin terminer la journée par une réunion publique avec les bénévoles à Crolles et les habitants intéressés par le projet.

Comme le laisser présager ce programme très rempli, Clémence est une femme très active et accueillante. Cette ingénieure en géotechnique jongle entre sa vie de famille et sa reconversion vers l’économie sociale et solidaire (ESS) qu’elle a entreprit l’année précédente. C’est dans le cadre d’un master qu’elle effectue une alternance avec Grési21, ce qui lui permet de m’accorder du temps pour me présenter le projet.
Ce projet, on en parle en détails avec Luc Jourdan autour d’un café puis d’un repas au soleil. Cet ancien ingénieur/manageur/start-uppeur s’est lancé dans cette aventure pour participer à la transition énergétique autour de lui.

Cette aventure a commencé courant 2015 avec des réunions publiques où quasiment 200 personnes ont montré un intérêt au projet de concilier production d’énergie renouvelable et citoyens. C’est au final un groupe plus restreint d’une cinquantaine de bénévoles qui va travailler pendant plusieurs mois à mettre en place la SAS Grési21, qui compte à l’origine environ 170 associés. Cette dernière, comme pour le projet voisin Energ’y Citoyennes [voir étape 0], est structurée sous forme de SAS à statuts coopératifs afin de mettre en place une gouvernance partagée puis jouer le rôle de tiers-investisseur afin de monter des projets photovoltaïques. Aujourd’hui, elle représente 500 associés et c’est la première centrale villageoise de France en termes de quantité d’énergie produite (910 kWc d’installé).
Les bénévoles sont un élément essentiel de Grési21. C’est à la fois un souhait, car ils représentent l’investissement citoyen dans sa forme la plus « pure » et donne une crédibilité et une confiance lors des rencontres avec des habitants du coin, car ils ne représentent pas un démarchage commercial. C’est évidemment aussi un atout financier, comme le fait de ne pas avoir de locaux, qui permet de diminuer les frais et qui permet aux projets de Grési21 d’être rentable. Mais c’est aussi une limite du projet.
Effectivement, les installations photovoltaïques mise en place par Grési21 suivent le modèle de la vente totale de l’électricité au réseau national. C’est le modèle économique le plus courant car cette vente est soutenue par l’Etat à travers des tarifs d’achats garantis sur 20 ans. Ces tarifs, mis en place environ en 2008 pour soutenir le développement du photovoltaïque, étaient à l’origine très favorable à l’installation de petites toitures (par exemple celle sur des maisons individuelles). Mais depuis, ces tarifs diminuent et il devient plus intéressant financièrement de se tourner vers de plus gros projet. C’est là que le bénévolat commence à devenir problématique, car les projets citoyens d’énergie vont alors se retrouver en concurrence avec des investisseurs privés avec des équipes de salariés. Il est alors difficile d’être compétitif face à des équipes de salariés professionnels. De plus, Grési21 essaye de favoriser des panneaux assemblés en Europe, ce qui n’est pas forcément le cas des concurrents.
Un des autres modèles économiques est l’autoconsommation de l’électricité. Mais ce modèle n’est pas encore compétitif face aux tarifs d’achat garantis par l’Etat. De plus, l’intérêt économique de ce modèle est particulièrement lié à la consommation du bâtiment qui est en autoconsommation. Or, Luc soulève ainsi le problème du risque client, et précise que Grési21 ne pourrait faire des projets d’autoconsommation que sur des bâtiments publics (où l’activité est connue et constante). Faire une installation en autoconsommation sur des bâtiments privés représente un risque car l’activité du bâtiment n’est pas assurée (ex : faillite de l’entreprise ou du magasin occupant le bâtiment).
Mais Grési21 ne se concentre pas uniquement sur le solaire. Il y a actuellement une étude sur un projet important de centrale hydraulique sur le plateau des Petites Roches, au-dessus de Crolles. Ce potentiel projet représenterait quasiment 2 millions d’euros d’investissement et pourrait alimenter 500 foyers en électricité. Néanmoins, il est encore en étude et de nombreuses problématiques sont encore présentes, comme l’évolution de la pluviométrie en conséquence du changement climatique, qui pourrait rendre le projet moins viable que prévu.

Je questionne également Luc et Clémence, anciens ingénieurs, sur l’omniprésence de cette profession dans les projets citoyens d’énergie. Pour eux, les personnes qui s’investissent bénévolement dans un projet citoyen d’énergie ont généralement trois caractéristiques : du temps, de l’argent et des compétences techniques. Cela correspond totalement au profil d’un ingénieur retraité et explique pour eux l’omniprésence de ce profil dans les projets. Même si Grési21 ne déroge donc pas à la règle du profil type au sein des bénévoles et des sociétaires, Grési21 projette de se diversifier à travers les bénéficiaires de leurs projets.
Après cette discussion riche, Clémence m’emmène l’après-midi découvrir le Grésivaudan à vélo. Le Grésivaudan est une vallée anciennement industrielle et a longtemps vécu de l’industrie de la papèterie et de la scierie. En effet, cette zone dispose de nombreuses ressources en bois et utilisait les rivières descendant du massif de Belledonne pour s’approvisionner en hydroélectricité. Aujourd’hui, la vallée dispose encore de quelques-unes de ces industries mais elle est beaucoup moins industrielle qu’auparavant.

Elle me montre au passage différentes installations développées par Grési21. Certaines, comme celle sur la salle Belledonne, revendent leur production directement à Enercoop. Le projet résume les raisons de ce choix dans un article de 2019 : » Pourquoi avoir fait ce choix ? […] Pour beaucoup d’entre nous, il était en effet important qu’une partie de notre production puisse être vendue à ce fournisseur d’électricité avec lequel nous partageons nos principales valeurs : investissement dans des projets exclusivement locaux d’énergie renouvelable, avec un souci du respect de leur impact environnemental et en impliquant systématiquement les habitants et les collectivités.
Pourquoi ce fournisseur spécifiquement ? Enercoop est à ce jour le seul fournisseur d’électricité 100% renouvelable sous statut coopératif. Il est à la fois agréé « Entreprise solidaire d’utilité sociale » et reconnu par l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (Ademe) comme proposant une offre vraiment « verte ».
Ce modèle contribue à pérenniser les projets des petits producteurs d’énergie renouvelable de France, dont Grési21 fera désormais partie.«



Je termine la journée avec la réunion des bénévoles de Grési21, à laquelle je me rends avec un vélo prêté par Clémence.

Elle est également riche en informations. J’y apprends notamment que Grési21 développe des fiches explicatives en libre accès sur leur site (lien) sur des notions d’énergie. Les critères de sélection pour les futurs projets sont également abordés, et je comprends que l’un des points importants lors de cette sélection est la nécessité (ou non) de renforcement des lignes électriques autour du lieu. En effet, dans les zones rurales notamment, les lignes électriques sont dimensionnées pour transporter une certaine quantité d’énergie et l’installation d’une centrale photovoltaïque peut demander à Enedis de changer les lignes électriques afin de transporter l’énergie produite. Si c’est le cas, c’est au porteur de projet de supporter les coûts de cette transformation. Cela peut énormément impacter l’intérêt économique d’un projet et c’est donc un critère important lors du choix du lieu d’un projet.

De plus, dans une optique de diversification, Grési21 a lancé l’opération Energie Jeunes, qui consiste à sensibiliser des jeunes en milieu scolaire aux questions énergétiques. Ce projet a été mené et est toujours en cours grâce à des jeunes en services civiques, qui ont sensibilisés 1130 écoliers/collégiens/lycéens à ce jour.
Ainsi, Grési21 développe des projets d’énergie renouvelable, mais plus globalement le projet et ses membres s’efforce de faire tout ce qu’ils peuvent pour transmettre, à leur échelle et autour d’eux, une nouvelle vision de l’énergie, entièrement en adéquation avec la transition énergétique que notre monde doit connaitre.
Merci à tous ceux qui m’ont permis de découvrir Grési21 ! Je termine cette longue journée en étant hébergé chez mon cousin qui habite à Crolles avant de partir vers la Drôme et notamment le Diois pour ma prochaine étape : les projets dwatts et ACOPREV !
Le projet « Repenser l’énergie ensemble » a été rendu possible grâce au soutien financier de la Fondation Grenoble INP, Enercoop Auvergne Rhône-Alpes, Enercoop Bretagne et de la Ville de Grenoble.