Nos agriculteurs : greniers de la France, et maintenant producteurs d’énergie renouvelable

 

Déjà utilisée pour la production de carburant lors de la Seconde Guerre mondiale et des différents chocs pétroliers survenus depuis, la méthanisation est une technologie intéressante pour la transition énergétique, qui permet de produire de l’énergie à partie de déchets organiques.

C’est tout à fait par hasard que j’ai fait ma première visite de ce tour d’Europe au méthaniseur de Sommerance (Ardennes), exploité par la société d’agriculture biologique GAEC Pierson depuis 2016.

Cet article a pour but d’expliquer le fonctionnement général de ce type d’installation, en apportant des détails spécifiques au type d’installation mis en place à Sommerance, et en soulevant les problématiques de fond liées à la méthanisation.

 

Comment fonctionne un méthaniseur ?

La méthanisation est un processus de décomposition de la matière organique par des bactéries en condition anaérobie, c’est-à-dire en l’absence d’oxygène. Cette technologie permet de produire un engrais appelé le « digestat », ainsi qu’un gaz composé de 50 à 70% de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2) exploitable de deux manières différentes : par cogénération, c’est-à-dire production d’électricité et de chaleur ; ou par injection, c’est-à-dire la production de biogaz.

 

Afin d’alimenter le processus de méthanisation, il faut apporter en continue de la matière organique fraîche, qui est dans le cas du méthaniseur de Sommerance dans les proportions suivantes :

  • 80% de déchets agricoles : fumier et lisier provenant des vaches de la ferme, et menue paille provenant de la moisson des cultures.
  • 16% de déchets agro-industriels : vinasse (betterave), fécule de pomme de terre, oignons, etc.
  • 4% de maïs, stocké depuis la création du méthaniseur et utilisé pour compenser les incertitudes liées à l’approvisionnement en déchets agro-industriels

Il est également possible d’utiliser d’autres sources de matière organique comme les déchets municipaux : tontes de gazon, déchets organiques, boues et graisses de station d’épuration, etc.

 

Le fonctionnement global de l’installation de Sommerance est expliqué par le schéma ci-dessous. Ce schéma est interactif, des détails sont donc disponibles en cliquant sur les symboles .

Contraintes techniques de l’exploitation d’un méthaniseur

 

Gestion du rendement du méthaniseur :

La gestion du rendement de l’installation est un enjeu important pour l’exploitant.

Tout d’abord, le processus de méthanisation dans le digesteur nécessite une durée de lancement de 140 jours avant d’atteindre un rendement maximal. Il est donc important de maintenir ce rendement, afin de ne pas subir une trop longue perte de production. L’installation est ainsi faite pour permettre au processus de méthanisation de s’effectuer même en cas de maintenance ou d’avarie, quitte à brûler le surplus de gaz produit dans ces cas de figure.

De plus, ce type d’installation très coûteuse nécessite souvent de faire un prêt bancaire. Dans le cas du méthaniseur de Sommerance l’investissement initial dépassant le million d’euros, la nécessité de rembourser l’emprunt sous 15 ans ajoute une contrainte de productivité, qui justifie l’importance apportée au rendement.

Ainsi, l’exploitant doit constamment veiller au bon fonctionnement du méthaniseur. Un poste dédié à l’entretien et à la gestion de l’installation a donc été mis en place à Sommerance.

Les points critiques pour la performance du méthaniseur sont notamment : le dosage des matières organiques injectées, la bonne homogénéisation de la matière en fermentation, le suivi de la proportion de souffre dans le biogaz, la vérification de la pression et du pH dans les cuves, et l’entretien du moteur de cogénération.

Matière organique en fermentation dans le digesteur.

La gestion d’une installation de méthanisation exige donc des exploitants, l’acquisition de nouvelles compétences techniques et scientifiques, afin notamment de comprendre le mieux possible les réactions qui entrent en jeu dans le méthaniseur.

 

Gestion de la sécurité du méthaniseur :

La manipulation d’importantes quantités de gaz soulève évidemment des problèmes de sécurité. Cependant, la manipulation et le stockage du gaz s’effectuent à des pressions trop faible pour qu’un risque d’explosion puisse être envisagé, ce qui réduit considérablement les problèmes de sécurité de la station.

 

Afin de maintenir le gaz à ces faibles pressions, plusieurs équipements sont prévus sur l’installation.

Une torchère est ainsi prévue au niveau de la conduite de gaz reliant le digesteur au post-digesteur. Elle est utilisée pour consumer le gaz en cas de surpression dans le digesteur ou d’indisponibilité du post-digesteur (pannes ou maintenance).

Les deux cuves (digesteur et post-digesteur) sont également équipées de soupapes permettant d’évacuer une partie du gaz en cas de pression trop importante dans les cuves et de non disponibilité de la torchère.

Torchère

Soupape du digesteur

Soupape du post-digesteur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une salle centrale à l’installation permet de gérer les flux de matière entre les différentes cuves, grâce notamment à une pompe centrale. Les équipements de cette salle sont conçus pour simplifier la gestion des avaries et la maintenance du site en toute sécurité.

L’exploitant est aussi capable de contrôler l’ensemble des unités du méthaniseur à distance, à partir d’un ordinateur. Il peut ainsi être averti en cas de panne ou d’anomalie de fonctionnement, et intervenir rapidement sans avoir besoin d’être toujours présent sur site. Une alarme se déclenche également sur le portable de l’exploitant pour l’avertir à tout instant de ces avaries.

Tableau de bord de l’installation, permettant de veiller à son bon fonctionnement.

Enfin, avant d’être mis en service le méthaniseur est vérifié par la DRAAF (Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt), qui vérifie la conformité de l’installation.

 

Précautions pour le dimensionnement d’un méthaniseur :

L’intégration d’un méthaniseur au fonctionnement d’une ferme est donc très intéressante, encore faut-il que celui-ci soit dimensionné en cohérence avec les capacité de l’exploitation agricole.

 

Un des principaux reproche fait aux installations de méthanisation est leur dépendance aux matières organiques d’origine externe et non maîtrisables. En effet, si une installation est surdimensionnée et ne reçoit pas assez de matière organique, l’exploitant est obligé – pour maintenir un bon rendement du processus – d’utiliser des sources de matière organique normalement destinées à un usage alimentaire, comme le maïs.

Il existe aussi malheureusement des exploitants qui choisissent dès le début du projet de faire tourner leur méthaniseur avec une majorité de maïs (ou autre). Ce choix est possible car pour ces agriculteurs le prix de rachat de l’énergie produite est plus intéressant que celui de vente des matières agricoles brutes.

L’utilisation de tels sources de matière organique est totalement incohérente avec la volonté de produire une énergie dite « renouvelable » par la valorisation de déchets.

Dans le cas de la centrale de Sommerance, le maïs ne représente que 4% de la matière organique utilisée. Ce maïs est stocké depuis la mise en place du méthaniseur, et permet de compenser les incertitudes liées à l’approvisionnement en déchets agro-industriels. Cette faible proportion permet donc de ne pas nuire à la bonne cohérence du projet.

Un autre facteur important à prendre en compte lors du dimensionnement, est la prise en compte de la surface de champs à épandre. L’objectif étant de ne pas produire plus de digestat que nécessaire, ou de ne pas être dépendant d’importation d’engrais en cas de sous-estimation de la quantité nécessaire. Ce point est moins critique que le précédent, et dépend des objectifs de l’exploitant vis-à-vis de son autonomie.

 

Un troisième point devant être réfléchi en amont de la construction du méthaniseur, est l’évaluation des possibilités de valorisation de l’énergie produite. Ce point est important pour choisir entre la cogénération ou l’injection (production de biogaz), et permet dans le premier cas d’optimiser la valorisation de la chaleur produite.

 

Enfin, l’intégration de la structure dans le paysage est un point à ne pas négliger. Des dispositions à ce niveau peuvent même être exigées par la DRAAF, afin de limiter la déformation du paysage rural et de ne pas se mettre les habitants du territoire à dos.

Les exploitants du méthaniseur de Sommerance ont ainsi décidé d’enterrer une partie des cuves de 6 mètres de haut dans la colline sur laquelle se situe le site. Des arbres ont également été plantés devant les cuves afin de les cacher à la vue des habitants du hameau.

Il est également préférable de prévenir les habitants avant la mise en place du projet, afin de les rassurer sur ces questions de l’intégration au paysage et des odeurs, mais aussi de sécurité. Il est également envisageable d’organiser une journée porte ouverte à l’ouverture du méthaniseur pour que les habitants comprennent vraiment les enjeux du projet.

 

Les chiffres de la méthanisation en France

Entre 2011 et 2013, 242 projets – tous secteurs confondus – ont été recensés par l’ADEME, ce qui représente une production d’énergie primaire estimée à 3 069 GWh (biogaz, électricité et chaleur confondus), soit 0.1% de la consommation française de 2017 en énergie primaire.

Cependant, le nombre de projets en cours ne cesse d’augmenter. Ainsi, l’ADEME avance même que « en faisant l’hypothèse d’installation de 600 méthaniseurs par an d’ici à 2030 (soit presque deux fois moins qu’en Allemagne), le gisement accessible est de 6 Mtep primaire en 2030, avec environ 50 % pour usage final dans le réseau de gaz, 30 % pour la cogénération et 20 % pour usage direct de chaleur. ».

Avec ces chiffres la filière atteindrait ainsi 2 à 3% de la consommation française d’énergie primaire, si celle-ci n’augmente pas significativement d’ici là.

 

Quels sont les aides financières pour la mise en place d’un projet de méthaniseur ?

Le tarif d’achat de l’électricité provenant d’une centrale de méthanisation est actuellement de 0.21€/kWh, contre environ 0.14€/kWh pour le tarif de vente à un particulier (prix valables pour EDF).

Des aides ont également été mises en place par l’État, comme le « Fonds Chaleur » géré par l’ADEME, qui soutient le financement de projets de récupération d’énergie et de production de chaleur à partir d’énergies renouvelables.

Ce tarif préférentiel et ces aides permettent aux exploitants de rentabiliser plus rapidement l’investissement effectué pour construire l’installation, et encouragent ainsi le développement de cette filière.

 

La méthanisation : une source d’énergie très prometteuse, qui pose cependant encore de nombreuses questions

La méthanisation est une filière énergétique en plein essor, avec de belles perspectives de développement.

Cette technologie a en effet un double intérêt de valorisation de déchets agricoles et industriels, et de production d’énergie. Elle permet ainsi aux agriculteurs de diversifier leur activité et de gagner en autonomie énergétique – notamment par l’exploitation de la chaleur.

L’intérêt de la méthanisation est également de permettre, comme la plupart des sources d’énergie renouvelable, la décentralisation de la production d’énergie. En effet, elle procure aux territoires ruraux une nouvelle maitrise – partielle, mais non négligeable – de leur production en énergie primaire.

Cette source d’énergie est d’autant plus intéressante, que sa production est peu polluante, en comparaison avec les énergies fossiles encore majoritairement utilisées dans le mix énergétique mondiale. De plus, la méthanisation permettant une production locale d’électricité, de chaleur et de biogaz, il serait intéressant de chiffrer les économies d’énergie effectuées sur le transport des matières première, par rapport à l’utilisation des énergies fossiles.

 

La méthanisation semble donc avoir tous les atouts pour être une énergie d’avenir, et contribuer au mixte énergétique de demain. Cependant cet article est loin de répondre à l’ensemble des problématiques soulevées par cette technologie, et de certaines questions restent encore à étudier :

  • Quel est l’impact de l’utilisation de ce nouvel engrais qu’est le digestat sur les terres agricoles ?
  • Quel est l’impact sur l’environnement et la santé de la combustion du méthane, en termes d’émission de CO2 et de particules fines ?
  • Le développement à grande échelle de la méthanisation est-il compatible avec une agriculture raisonnée et une baisse de la production de viande d’origine bovine ?

Ces problématiques sont complexes à traiter et nécessitent des recherches plus approfondi. Je vous encourage donc à faire des recherches par vous-même, afin de nourrir le débat sur la transition énergétique.

 

 

4 Replies to “Nos agriculteurs : greniers de la France, et maintenant producteurs d’énergie renouvelable”

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    merci pour votre article.
    Peut-on vraiment parler d’énergie d’origine renouvelable dans la mesure où la matière première nécessaire à la méthanisation provient de l’agriculture, une activité humaine qui demande pas mal d’énergie fossile pour les engins, les engrais, les transport … Sans parler des dégâts sur l’environnement liés à l’utilisation des pesticides chimiques et à l’épandage.

    1. Je suis d’accord que la qualification d' »énergie renouvelable » pour ce type de dispositif est à prendre avec des pincettes. Mais je ne serai pas autant catégorique à ce niveau, car les problèmes que vous décrivez sont ceux de l’agriculture intensive (malheureusement majoritaire parmi l’ensemble des pratiques possibles).
      Pour moi la méthanisation est aussi une technologie qui serait cohérente avec une agriculture locale et respectueuse de l’environnement, et ne dois pas être exclus des solutions énergétiques à échelle locale. Néanmoins, il est important de garder à l’esprit qu’une telle pratique agricole n’est peut être pas compatible avec la mise en place de centrales de méthanisation aussi puissantes que celles que l’on peut voire aujourd’hui. A méditer !
      Par exemple, le méthanisateur de Sommerance sur lequel s’appuie l’article fonctionne dans le cadre d’une ferme biologique – qui utilise des tracteurs, mais il y a déjà du mieux.

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